C’était la belle nuit de Noël. Alors que l’ensemble de la population monégasque sombrait dans le champagne, la dinde aux marrons et autres buches chocolatées, le stagiaire-reporter de la Gâchette était convié par une famille monégasque à partager en totale immersion, ce fameux réveillon. Évidemment, les noms, les lieux et les faits ont été changés dans ce rapport afin de garantir l’anonymat complet de cette famille ô combien sympathique.
Un réveillon traditionnel
Nous nous retrouvons donc aux Jacarandas, au 4e étage, où comme tous les ans, la famille Martoni se retrouve au grand complet pour un réveillon monégasque des plus traditionnels.
Tout commence on ne peut plus parfaitement. René, le grand-père, était arrivé avec Martine, son épouse, les bras chargés de cadeaux de chez Jouéclub. Ludivine, la mère, avait passé son après-midi à préparer un repas typiquement monégasque de chez Picard. Luc et Leila, les 2 enfants, jouent chacun de leur côté dans leurs chambres de 50 m², et Arthur, le père, rajoute son ultime touche à la crèche familiale en installant sa dernière acquisition : le santon « U caganer ».
Et alors que retentit le premier claquement caractéristique d’une bouteille de champagne que l’on débouche, George, l’oncle célibataire et toujours en retard, sonne avec un bouquet de fleurs et bouteille à peine entamée de limoncello. La soirée est désormais lancée.
21 h 30 : une banderille après les rillettes
Les discussions vont bon train, entre les petits fours, les huîtres, les rillettes et le foie gras. Des sujets divers et variés sont abordés, tels que la réhabilitation de la source d’Apolline, ou la disposition tactique de Jardim lors du dernier match de l’AS Monaco.
Après être allé aux latrines pour une petite miction due à son âge avancé, « la prostate », comme il s’excuse toujours dans ces cas-là, René passe non loin du sapin pour observer l’amoncellement de papiers colorés qui s’y trouve. Puis en revenant, à table, il s’exclame, en pouffant : « Tu as perdu Martine. Il n’y a pas de cadeau de la part de Primo. Pourtant, c’était bien dans leur style... » Personne ne relève pourtant, la grand-mère préférant vider d’un trait le fond de sa flûte à champagne.
22 h : une dinde et des marrons
Mais l’affaire n’en reste pas là. Alors que les assiettes de l’entrée sont débarrassées, René, qui en est à son quatrième verre de champagne, remet le sujet sur la table :
– Ah, et j’ai vu que tu as encore mis sous le sapin la carte de noël du Conseil National. Il nous a encore écrit ce traitre de Steiner?!
– Non, c’est moi qui ai déposé la carte, contre-attaque Ludivine, le plat fumant de dinde aux marrons dans les mains
– Fadaises et fariboles?! Réplique René, passablement courroucé.
– Et pourquoi?? Il faut bien rendre hommage à ce grand homme, heureusement qu’il était là Steiner pour relever le Conseil National?!
– C’est un traitre. Et un Cyrano à quatre pattes?! En 1989, il ne m’a pas laissé traverser au passage clouté du bas de la rue Caroline, depuis c’est un scélérat, et puis c’est tout?!
Un silence pesant retombe violemment dans le salon. Seul le bruit des fourchettes raclant l’émail des assiettes retentit. Et un murmure du côté de Luc « Steiner il a dit des trucs chouettes sur la Gâchette… »
22 h 48 : À coup de buches sur la truffe
La dinde est retirée, la salade avalée, et la buche arrive sur la table, accompagnée d’une montagne de fougasses, dessert traditionnel pour toute famille monégasque qui se respecte.
– Tiens, ça me fait penser l’autre jour, au buffet de Valéri, ils avaient une fougasse vraiment réussie, lance Arthur, la bouche à moitié pleine. Il n’y a pas à dire, mais chez Primo, c’est vraiment des fins gourmets.
– Oui, tu y vas surtout depuis qu’il a pris sur la liste l’autre marie-couche-toi-là de… Ah mince, tu sais, la fille de l’autre qui avant travaillait aux immatriculations, ou aux fiscaux, je sais plus… rétorque Ludivine, l’œil torve.
– Non, c’est pas vrai. Moi j’ai des convictions, je vote Valeri?! Et tu as intérêt toi aussi?! Il nous a écrit qu’on allait enfin avoir un 8 pièces.
Arthur coupe court à toute tentative de réponse en enfournant son dernier morceau de buche.
– De toute façon, la politique, c’était mieux avant, murmure Martine. Et puis qu’il était beau Jean-Charles Rey.
– Oui enfin, il s’est quand même fait battre par un président du club de foot, réplique René, toujours aussi vindicatif.
– Ben voyons, bougonne Martine. Ton président de ballon rond, tu t’es bien vanté d’avoir voté pour lui.
– C’est un topinambour, oui, et alors?? J’ai quand même voté pour lui.
– Tu bluffes Martoni, réplique George, sortant de sa torpeur. Tu n’as jamais voté Campora. Tu disais qu’il est trop nul depuis qu’il a vendu Onis.
– Si j’ai voté pour lui, s’exclame René.
– Moi je dis qu’il bluffe, rigole Leila.
– Non, il ne bluffe pas, surenchéri sa grand-mère, sure d’elle.
– Vous savez quoi?? Et bien on s’en fiche de votre vieille politique en noir et blanc, conclut Arthur. Nous, on ira aux réunions électorales, parce que moi je suis fonctionnaire et il est temps que ça change?!
– Que ça change quoi?? Tu es chef de rayon à la D.A.U.?! Tu veux devenir quoi?? Chef de diamètre?! Ricane son épouse, visiblement agacée.
La dispute est interrompue par les sanglots de Luc, qui a à peine touché à sa tranche de buche.
– Non, moi je ne veux pas. Je ne veux pas allez à Tourette Levens pour voir les matchs de foot de l’ASM?!
– Mais ne t’inquiète pas, Grinda, c’est un danseur, jamais il ne sera élu. En tout cas pas tant que les buffets de Primo seront aussi bon.
– Ah non, il a raison, il faut loger tous les Monégasques, tempête Martine, oubliant d’aller chercher les cafés. Moi je vais voter pour Grinda. Et pour Pasquier aussi, il est mignon avec sa barbichette.
– De toute façon, s’exclame Ludivine, moi je voterai Fresko. Elle est bien Fresko. Une femme président du Conseil National, ça serait un beau pas en avant pour notre pays.
– Tu n’avais pas dit que tu aimais Steiner?? Horizon et Steiner, c’est plus trop l’amour fou tu sais, se gausse Arthur.
– Steiner, il était Horizon au départ. Et puis Fresko, elle a de bonnes idées. Et moi j’aime bien les gens d’Horizon.
– Que vois-je à l’horizon?? Le cul de Robinson, s’esclaffe Luc, qui a apparemment retrouvé un peu de jovialité.
Et la soirée dégénéra…
C’est à partir de ce moment-là que le reportage de notre stagiaire devient confus. Sur la dernière boutade de Luc, son père s’est levé pour lui administrer une grande claque derrière la tête. Luc, cherchant à se protéger, renversa son plat directement sur tonton George, dont le geste de la main envoya son verre de champagne plein sur René. Les assiettes se mirent ensuite à voler à travers la pièce au grand désarroi de Martine, pourtant bien contente d’avoir à ce moment-là oublié de servir les cafés.
Une poignée de minutes plus tard, la maréchaussée, déjà en intervention pour des faits similaires dans l’immeuble d’à côté, débarqua pour découvrir une scène de guerre. Les femmes s’étaient réfugiées derrière le canapé renversé. Luc, à quatre pattes, ramassait les morceaux d’assiettes brisés qu’il renvoyait un peu au hasard à travers la pièce. George avait arraché les rideaux, et tentait de s’en servir pour protéger sa chemises de tous dommages collatéraux. Arthur tenait dans sa main une carafe en cristal qu’il comptait visiblement user comme arme de dissuasion à l’encontre de René, debout sur la table, qui se protégeait avec une chaise, et hurlait : « des assiettes qui volent?! Du vin au plafond?! Le ciel l’a décidé, Spiliotis va être réélu?! Deo Juvante ! Deo Juvante ! »
Réveillon bien triste, mais ces faits ne sont pas si isolé, si l’on en croit les nombreuses plaintes reçues ce soir là par la maréchaussée monégasque. L’année 2018 s’annonce tendue dans les familles, tout du moins jusqu’au 11 février prochain. À moins que le climat s’apaise, et vote la sérénité en élisant Steiner.
Grand moment de réalisme.
Le sujet reste sensible, surtout en famille !
Au fond, chaque famille peut se retrouver dans la scène du lancé de verre et d’assiette. Deo Juvante !
Puisse le vœux de Rene être exaucé